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Aya de Yopougon

Aya de Yopougon de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, par Anne Crémieux

En sortie le 17 juillet sur les écrans français.

La version filmée d'Aya de Yopougon est très attendue par les nombreux fans de la BD éponyme. Loin du misérabilisme et des généralités sur tout un continent, le petit quartier de Yopougon constitue la micro-société par excellence. Se côtoient les pauvres et les nantis, les durs et les mous, les beaux gosses et les binoclards, les naïves et les fortes têtes. Tout le monde se retrouve régulièrement pour faire la fête, quand ça ne se finit pas en bagarre alcoolisée. Quoi de plus logique que de voir tout ce beau monde créé par Marguerite Abouet et mis en image par Clément Oubrerie se mouvoir à l'écran ? Aya et ses copines, les copains des copines, les parents des copains et les copains des parents : on n'attendait que ça, de les voir bouger, deh ! Et de les entendre aussi. Car si la bande dessinée a été applaudie pour son humour et sa vision rafraîchissante de ce quartier d'Abidjan des années soixante-dix, sa richesse tient aussi au langage authentique qui s'offre au monde francophone (chaque volume est agrémenté d'un glossaire) et à l'ambiance cinétique et musicale qui s'en dégage. Or le film d'animation peut exploiter ces atouts encore plus directement que la bande dessinée.

Ces scènes de la vie de tous les jours sont l'occasion de grandes leçons de civisme et de politique, mais aussi de micro-observations du mode d'être des personnages. On n'est pas étonné d'apprendre que Marguerite Abouet a recruté sa famille pour jouer les scènes de danse ou d'échanges verbaux. Les équipes d'animateurs se sont appuyées sur des captations vidéos pour reproduire le mouvement. Chaque marche entre copines, chaque introduction de personnage insuffle un rythme lent et onduleux, comme porteur de la chaleur visible dans les ombres et les couleurs. À ce bercement permanent s'ajoutent les tonalités des dialogues drôles et justes, grâce aux voix authentiques auxquelles l'équipe tenait : pas question de se tourner vers des stars franco-européennes quand les talents africains ne manquent pas. Aya est campée par Aïssa Maïga (Bamako, Sur la piste du Marsupilami), d'origine sénégalaise, tandis que son amie Adjoua est jouée par la comique franco-ivoirienne Tatiana Rojo, sous le charme de la voix de velours de Djédjé Apali. Vu le texte et l'importance donnée à la langue, il eut été impossible de procéder autrement, d'autant que le film est extrêmement fidèle aux deux premiers volumes d'Aya qu'il adapte. Les coupes obligatoires n'empêchent aucunement les auteurs de prendre le même soin à amener les gags visuels, qui fonctionnent aussi bien à l'écran que sur papier, comme cette étonnante ressemblance entre le petit Bobby et cet homme qui ne devrait pas être son père. Si on en croit l'apparition furtive du personnage d'Inno, en vedette dans les volumes suivants, on peut espérer une trilogie yopougonaise, en espérant que le film trouvera le même écho auprès du public que la bande dessinée avant lui.
 

15|05|2013.

http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=11502

Auteur(s): Anne CREMIEUX

Soumis par Caroline Messa Wambé le

Le Collier du Makoko d'Henri-Joseph Kumba Bididi

Charles Mensah, qui vient subitement de nous fausser compagnie le 3 juin 2011, était producteur délégué du film. Effectivement, Le Collier du Makoko s'inscrit dans le projet d'un cinéma grand public sans abêtissement et produit au Sud, cher à feu le président de la Fepaci (Fédération panafricaine des cinéastes). Henri-Joseph Kumba Bididi avait déjà commis Les Couilles de l'éléphant qui mêlait humour et critique politico-sociale en un cocktail plutôt sympathique (cf. [critique n°2091]). C'est également le cas de son nouvel opus que l'on suit à plaisir.

Les scènes de la cour de la reine Téké évoquent une imagerie de carton pâte propre à la bande dessinée, impression renforcée par la stéréotypie de certains personnages comme le collectionneur d'antiquités africaines : tout le film se suit comme une BD au rythme allègre et enjoué. On est séduit par le jeune Thomas, héros positif et modèle de débrouille auquel s'identifiera volontiers tout adolescent comme ce fut le cas avec Bandian du Ballon d'or de Cheik Doukouré. Les effets spéciaux qui lui permettent de côtoyer le lion comme s'ils avaient grandi dans la même cage sont parfaitement réussis. Il a dans le film un vrai devenir initiatique, en parallèle aux évolutions du scientifique Octave (Eriq Ebouaney) qui veut réimplanter des lions au Gabon et de la journaliste Marie (Hélène de Fougerolles) qui lui colle à la peau, tous deux tissant un tissu de contradictions préservant leur complexité et qui en fait des personnages aussi agaçants qu'attachants.

Servi par des seconds rôles truculents comme le Vietnamien rencontré en brousse et par des situations burlesques qui fonctionnent, le film divertit comme un film d'aventures léger et bien ficelé mais accroche aussi lorsqu'on voit les pygmées manier l'électricité solaire ou reconnaître Octave pour l'avoir vu dans le journal. Il passe ainsi dans Le Collier du Makoko quelques idées simples sur le respect des humains qui donnent à ce spectacle familial une belle positivité.

Critique > cinéma/tv, 27|07|2011

http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=10340

Auteur(s): Olivier BARLET

Soumis par Caroline Messa Wambé le

Se reconstruire après l'excision

Un urologue français a créé une chirurgie de restauration du clitoris. Les femmes excisées peinent à en bénéficier. Au Burkina Faso et en France, des femmes ont décidé d'être opérées. Elles témoignent de leur combat pour devenir des femmes "entières".

Des comédiennes incarnent d'autres femmes qui ont choisi de témoigner dans l'anonymat. Un dialogue s'établit. La parole se libère. La restauration du clitoris deviendra-t-elle un droit universellement reconnu ?

"Femmes, entièrement femmes" sera diffusé par TV5 Monde le vendredi 14 mars 2013 (18 h heure de Dakar), le dimanche 16 mars (6h du matin heure de Dakar) et le mardi 18 mars (15h 30 heure de Dakar). Il sera diffusé le 1er mars à 21 h sur Lyon Capitale TV.

Le clitoris ne sert qu'au plaisir de la femme : c'est le seul organe humain qui ne sert qu'à cela. Mais la sexualité des femmes fait peur à l'homme. Au-delà de toutes les explications de circonstance, l'excision a clairement pour but de garder la femme sage et fidèle : "Une femme non-excisée devenait trop forte", signale une vieille femme dans le film de Philippe Baqué et Dani Kouyaté.

Encore un film sur l'excision ? Avec 140 millions de femmes excisées à travers la planète, ce ne serait pas un film de trop ! Son but n'est cependant pas de documenter la lutte contre l'excision, ce que faisait par exemple brillamment pour le Burkina Faso Maïmouna la vie devant moi de Fabiola Maldonado, 2007 (cf [critique n°6846]). Pour l'Europe des films ont été réalisés avec le GAMS (Groupement pour l'abolition des mutilations sexuelles) : Mon enfant, ma sœur, songe à la douleur de Violaine de Villiers (2006) ou Noires douleurs de Lorène Debaisieux (2007). Ce dernier informe également sur l'opération qui restitue l'organe en restaurant les nerfs et la forme normale du clitoris, permettant à la femme de retrouver une vie de femme "entière".

C'est cet adjectif qu'ont choisi Philippe Baqué (qui a notamment coréalisé l'excellent Le Beurre et l'argent du beurre -cf. [critique n°5985]) et le bien connu Dani Kouyaté pour leur film entièrement consacré à cette reconstitution du clitoris. Car c'est de cela qu'il s'agit, comme les femmes qui témoignent le font comprendre : être femme entièrement, pouvoir reprendre sa vie en mains alors qu'elles n'ont pas choisi d'être excisées, retrouver son estime de soi et combler cette impression de manque qui dominait.

"Ça a changé ma vie !" insiste une femme. L'excision est cause d'hémorragies, d'infections, et dans le cas de l'infibulation de douleurs durant les relations sexuelles et de complications avec déchirures durant les accouchements. Mais ce n'est pas tant sur les séquelles graves de l'excision que se concentre le film mais sur le fait d'oser en parler, et d'oser vouloir être opérée pour "se reconstruire".

On estime à près de deux millions le nombre d'excisions pratiquées par an, soit 6000 par jour. Le Dr. Pierre Foldès, un urologue français, a mis au point une intervention chirurgicale qui restaure le clitoris et l'a pratiquée 4200 fois. On le voit former d'autres docteurs au Burkina Faso pour élargir les possibles. Bien sûr, seul un petit nombre de femmes pourront profiter d'une opération encore rare et chère, sans compter qu'il faut lutter contre la récupération des sectes (les Raëliens, si sûrs d'eux) ou la spéculation de certains médecins, et que les politiques ne s'occupent pas de régulation. Mais face aux préjugés claironnés par les hommes lors d'une conversation de maquis en début de film, un éveil des consciences est nécessaire et ce film y contribue singulièrement.

Il adopte en effet une mise en scène engagée de la parole, dépassant le simple témoignage frontal, ouvrant ainsi à l'incertitude et à l'ambivalence de décisions difficiles à prendre : des femmes (ici des comédiennes reprenant leurs textes), disposées en cercle, échangent entre elles sur un blog et se confient ainsi dans leur intimité en tapotant sur leurs ordinateurs. La caméra leur tourne autour dans l'obscurité : le dispositif accentue la concentration sur ce qu'elles disent tout en produisant un rythme au diapason. La courbe de la trajectoire de la caméra forme une boucle sans pour autant se clore : il s'agit de revenir à soi tout en s'ouvrant aux autres. Ces temps des intimités qui se répondent et vibrent ensemble forgent ainsi la possibilité d'une ligne, une mélodie, une pulsation commune qui les dépassent pour devenir la parole et l'élan des femmes qui se prennent en mains.

C'est dans cette détermination qu'elles arrivent à surmonter les questions d'honneur attachées à l'excision : "Je ne crains pas le couteau, je crains la honte de ma mère", chante une vieille dame dans le film. Mais les temps changent et la même femme indique qu'aujourd'hui, les femmes excisées ne trouvent pas de mari. La grande actualité de ce film, dont la cohérence impressionne, est ainsi de se concentrer sur la réparation, et partant la reconstruction non seulement du plaisir mais de la femme toute entière.

Critique > cinéma/tv   26|03|2014

http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=12093

Auteur(s): Olivier BARLET

Soumis par Caroline Messa Wambé le