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Encore un film pour dénoncer les tares africaines

Le long métrage d'Apolline Traoré a été projeté le vendredi 14 juin 201, en ouverture de la 13e édition du festival Images et vie. C'est un film mélangeant noir & blanc et couleur. Il est léger, avec une fin sans surprise. Les thèmes abordés sont nombreux. Et la réalisatrice semble faire l'apologie de l'individualisme, avec une héroïne qui s'isole volontairement de sa communauté.

Un mannequin qui détonne Moi Zaphira ! commence sur un gros plan du visage de l'héroïne (incarnée par Mariam Ouédraogo) qui a les yeux fermés. Elle ouvre ses yeux et nous plonge dans son univers : le village de Kalassa. Zaphira est une veuve, avec une fille, et elle veut rester fidèle à la mémoire de son mari Lokré, infirmier mort dans un accident. Sa belle-famille veut qu'elle se marie avec le petit frère ; ce que ce dernier n'accepte pas. Il va offrir à Zaphira un cadeau emballé dans un papier glacé de magazine.
À la vue des mannequins de mode, Zaphira dit qu'elle veut que sa fille en soit une. Une fille qui, en fait, rêve de devenir infirmière comme son père, pour aider son village. Un rêve que sa mère va briser, malgré toute la ténacité de la petite fille qui va essayer de lutter. L'interprète de Katia, petite fille, est convaincante, à l'instar de la grande Katia incarnée par Salimata Traoré. Elle saura transmettre et faire sentir toute la rancœur qu'elle avait pour sa mère, qui a sacrifié ses rêves, pour une vie qu'au fond elle n'aime pas. La grande Katia semble s'isoler de tous, alors que ses collègues font la fête. Le film se referme sur ses yeux, laissant la mémoire se souvenir.

Le personnage de Zaphira, détonne au milieu des habitants de Kalassa. Comme un mannequin, elle semble être parachutée dans ce milieu qui n'est pas le sien. Aucune évolution dans son jeu, aucune émotion. Dix ans après, ses traits sont restés inchangés, alors que logiquement elle aurait dû subir les dégâts causés par les travaux dans les mines, les dures conditions de travail et de vie dans ce fin fond du Burkina Faso. Mais rien de tout ne cela, contrairement à son ami Suzy, la prostituée de Gouri, le village minier, qui, elle, a su faire évoluer son personnage. En tenue traditionnelle, elle est flétrie, en prenant un léger coup de vieux.

Sus à la pauvreté, à la dépendance et aux traditions éculées

Dix ans après, le temps semble n'avoir aucune prise sur les différents acteurs. Kalifa, le beau frère nous apparait comme au début du film, mais en couleur désormais. Si au début, seuls les magazines de mode avaient de la couleur, il n'en est pas de même à la fin où le village de Kalissa s'est développé grâce à la volonté des femmes. Les femmes sont à l'honneur dans ce film. Elles se battent pour leurs enfants, même si elles s'y prennent mal parfois, et font fi de leurs desiderata. Suzy se prostitue pour son fils, Zaphira remue ciel et terre pour faire de sa fille un mannequin, les autres femmes du village décident de cultiver pour pallier à l'absence de l'aide internationale, au grand dam du chef de village, le "Douguitigui". Ce dernier estime que les Blancs ont assez exploité les Africains, à eux de les nourrir maintenant. Des points de vue qui font rire.

La naïveté des personnages de Moi Zaphira ! étonne et inquiète. Même si la fin est plutôt optimiste, on ne peut s'empêcher, de se poser la question d'Axelle Kabou, "Et si l'Afrique refusait le développement ?" avec ses traditions, et croyances qui parfois inhibent et annihilent l'épanouissement personnel, pour la communauté qui préfère stagner.

Article paru dans le Bulletin spécial Festival de cinéma image et vie 2013, issu de l'atelier de formation à la critique, initié par l'Association Sénégalaise de la Critique Cinématographique (ASCC), Dakar.

09/07/2013

http://www.africine.org/index.php?menu=art&no=11650

Auteur(s): Oumy Régina SAMBOU

Soumis par Caroline Messa Wambé le

Mariage arrangé sur le web, c'est du cinéma !

Pour avoir un visa, une méthode est certifiée efficace. Il suffit de se connecter sur MSN et rencontrer un Européen à la recherche d'une épouse. "Mariage à trois visages" livre le mode d'emploi et dévoile les escrocs du net sur grand écran à Kélibia en Tunisie.

"On appelle ça un téléphone portable. C'est de la nouvelle technologie" dixit Zass à Sokoda. "Tech… quoi ?" réagit-elle. "Tech-no-lo-gie" réponds le photographe burkinabè à sa compatriote villageoise. Il s'agit d'un extrait d'une conversation entre les deux personnages principaux de "Mariage à trois visages", un film amateur du réalisateur martiniquais Pierre Laba.
"C'est un jeu de mots. Normalement, l'intitulé du film est mariage à trois visas" explique le réalisateur. Ce long-métrage de fiction a été présenté, samedi 10 juillet, en première mondiale à l'occasion de la soirée d'ouverture du Festival International du Film Amateur de Kélibia (FIFAK).

Film anti-cybercriminalité

Les événements du film se déroulent en grande partie dans un village reculé de la commune de Bobo-Dioulasso au Burkina Fasso. Il raconte l'histoire de Zass, photographe ambulant, voulant à tout prix partir en France. Son ami Streev, expatrié dans l'Hexagone lui donne l'idée d'usurper l'identité de sa cousine Sokoda sur le net, pour pouvoir obtenir un visa. Leur plan consiste à trouver un mari français à la jeune fille. Et c'est fait. Le français est trouvé. Et il a fait le voyage jusqu'au Burkina pour se marier. Mais Sokoda est une villageoise illettrée et en rupture totale avec le monde extérieur. Elle multiplie les maladresses et met en péril le succès du plan. Zass fait tout ce qu'il peut pour arriver à son objectif: obtenir son précieux visa.

"J'ai fait ce film pour dénoncer toutes les cybercriminalités" déclare le réalisateur Pierre Laba. Et il précise: "certains Ivoiriens arnaquent les gens sur internet et arrangent des mariages forcés et des mariages blancs via le net". Pierre Laba, également auteur du film, a usé d'humour pour atteindre son objectif dans cette comédie excessivement hilarante.

Entre séries-télé et images souillées

Lors d'une rencontre avec ce réalisateur tenu, dimanche 11 juillet toujours dans le cadre du FIFAK, certains journalistes, jeunes cinéastes amateurs et cinéphiles se sont insurgés contre le film. Leurs motifs ? Le réalisateur a filmé ce long-métrage à la manière des séries télévisées, et bien loin de la veine cinématographique. Mais il a aussi dressé une image très négative des Africains, des Burkinabès en l'occurrence. Naïfs, illettrés et surtout opportunistes, ainsi se présentent les villageois burkinabès dans "Mariage à trois visages". "Je ne fais que retracer ce que je vois. Et c'est tout" rétorque Pierre Laba. Concernant son approche filmique, le réalisateur ne cache pas qu'il a été inspiré par les feuilletons-télé humoristiques. Il s'est référé, en quelque sorte, à des séries-télé ivoiriennes et burkinabèes tel que "Ma famille" et "Boubou Diouf". D'ailleurs, c'est sur le petit écran qu'il a sélectionné les comédiens de "Mariage à trois visages".

Débrouillardise made in Africa

Le casting de ce film a réuni des acteurs de trois pays différents. Pierre Laba nous en parle : "Mon film est une réconciliation culturelle entre la Côte d'Ivoire, la France et le Burkina Faso". Le tournage du film a duré trois mois, de févier jusqu'en avril 2010. Selon le réalisateur, "Mariage à trois visages" a coûté 76 000 euros. Pourtant, il a rencontré des difficultés matérielles qu'il a contournées à sa manière. En fait, Pierre Laba a construit sa propre grue à caméra. "Le matériel coûte extrêmement cher. Et je n'ai pas les moyens de me procurer une grue. Alors, j'en ai fabriqué une" dixit le réalisateur. "C'est une grue qui fait en même temps la fonction des rails. Je l'ai faite manuellement avec de l'acier, des trépieds et autres. J'ai même utilisé des appareils de body building et des roulettes pour assurer la mobilité" raconte Pierre Laba.

"Mariage à trois visages" a été présenté durant la soirée d'ouverture du Festival International du Film Amateur de Kélibia (FIFAK). L'événement incontournable du cinéma amateur en Tunisie continue jusqu'au samedi 17 juillet. Projections de films des quatre continents, rencontres avec des cinéastes et débats ouverts au public sont au programme quotidiennement. La côte du Cap-Bon bercera le cinéma amateur mondial jusqu'à la fin de cette semaine.

FIFAK 2010, Kélibia, le 30/09/2010.

http://www.africine.org/index.php?menu=art&no=9731

Auteur(s): Thameur MEKKI

Soumis par Caroline Messa Wambé le

 

Une feuille dans le vent

Cinéma : Interroger le passé pour envisager le futur

Premier prix du documentaire au festival Ecrans noirs 2014, « Une feuille dans le vent » de Jean-Marie Teno présente la quête de vérité d’Ernestine Ouandié, mis en perspective avec l’histoire de l’indépendance du Cameroun.

 « Comment voulez-vous qu’une feuille détachée de sa tige puisse vivre ? Je suis comme une feuille, j’ai besoin de la branche pour vivre. Quand vous coupez la branche, la feuille se dessèchera, le vent la fera voler à gauche, à  droite, en haut, en bas et la feuille disparaîtra un jour ». Cette phrase d’Ernestine Ouandié résume bien toute son existence. En quelques mots, le personnage principal du film « Une feuille dans le vent » dit son mal-être et sa quête perpétuelle du père.

Née en 1961 au Nigéria, Ernestine est la fille d’Ernest Ouandié, le nationaliste camerounais qui prit la tête de l’Upc après l’assassinat de Ruben Um Nyobè en 1958 et de Félix Moumié en 1960. Dans ce documentaire de 55mn, elle se livre entièrement. Elle y raconte son enfance difficile et la découverte du pays de son père en 1987, après son enfance au Ghana. Elle dénonce surtout le voile de silence qui entoure l’histoire du Cameroun, qui, pour elle, se confond avec son histoire familiale.

Jusqu’ici, les circonstances de la reddition d’Ernest Ouandié, exécuté à Bafoussam en 1971, restent floues. Et aucune plaque commémorative ne fait honneur à ces martyrs, présentés à l’époque comme des maquisards. Ernestine veut la vérité, pour pouvoir à son tour la transmettre à ses enfants. Car pour se projeter dans le futur, il faut pouvoir regarder son passé. « C’est difficile de savoir qu’on doit mourir deux fois. La première fois, la vraie, est suffisamment difficile à accepter. La deuxième mort, qui est le silence, ne nous mènera nulle part. Quand l’histoire sera écrite, les âmes errantes trouveront enfin la paix », dit-elle.

Un matin d’octobre 2009, Ernestine Ouandié s’en est allé rejoindre ces âmes errantes. A ce moment-là, Jean-Marie Teno, qui l’a interviewé en 2004, pose un regard neuf sur ses confessions. « J’ai été tellement touché par son histoire, je ne savais pas quelle forme allait prendre ce film à ce moment-là. Dans cette interview, pendant un long moment, elle me parle de la métaphore de la feuille mais je ne comprenais pas. C’est quand elle est décédée que je me suis rendu compte que ça faisait sens. J’ai trouvé en elle une profondeur qui m’a fait penser que sa parole devra être portée», explique celui qui a écrit, réalisé et produit « Une feuille dans le vent ».

Kwame Nkrumah, le premier président du Ghana, disait déjà que « les conséquences socio-psychologiques de la colonisation sont bien plus importantes que les conséquences politiques car elles pénètrent en profondeur l’esprit des gens et sont plus longues à éradiquer ». Jusqu’à sa mort, Ernestine Ouandé a porté ce fardeau dans un pays où l’histoire de l’indépendance a toujours été éludée. Face à la caméra, cette femme belle, que l’on sent désespérément seule dans sa quête, réclame la justice de la vérité. Sa pensée est construite avec méthode. Sa voix et son regard sont chargés d’émotion. On la sent au bord des larmes, mais elle ne craque pas.

Pour mettre son histoire en perspective, Jean-Marie recourt aux images d’archives pour raconter la lutte pour l’indépendance. Il dresse ainsi un parallèle entre la vie d’Ernestine et celle du « Camarade Emile », son père. Les illustrations de Kemo Sambé permettent de combler les vides de l’histoire, de sortir le spectateur du visage d’Ernestine pour lui donner du répit. Le film tourné en anglais et sous-titré en français, est dédié aux enfants d’Ernestine : Boris, Ernesto et Helen.

Stéphanie Dongmo

Auteur(s): Stéphanie DONGMO

Soumis par Caroline Messa Wambé le