Se reconstruire après l'excision

Un urologue français a créé une chirurgie de restauration du clitoris. Les femmes excisées peinent à en bénéficier. Au Burkina Faso et en France, des femmes ont décidé d'être opérées. Elles témoignent de leur combat pour devenir des femmes "entières".

Des comédiennes incarnent d'autres femmes qui ont choisi de témoigner dans l'anonymat. Un dialogue s'établit. La parole se libère. La restauration du clitoris deviendra-t-elle un droit universellement reconnu ?

"Femmes, entièrement femmes" sera diffusé par TV5 Monde le vendredi 14 mars 2013 (18 h heure de Dakar), le dimanche 16 mars (6h du matin heure de Dakar) et le mardi 18 mars (15h 30 heure de Dakar). Il sera diffusé le 1er mars à 21 h sur Lyon Capitale TV.

Le clitoris ne sert qu'au plaisir de la femme : c'est le seul organe humain qui ne sert qu'à cela. Mais la sexualité des femmes fait peur à l'homme. Au-delà de toutes les explications de circonstance, l'excision a clairement pour but de garder la femme sage et fidèle : "Une femme non-excisée devenait trop forte", signale une vieille femme dans le film de Philippe Baqué et Dani Kouyaté.

Encore un film sur l'excision ? Avec 140 millions de femmes excisées à travers la planète, ce ne serait pas un film de trop ! Son but n'est cependant pas de documenter la lutte contre l'excision, ce que faisait par exemple brillamment pour le Burkina Faso Maïmouna la vie devant moi de Fabiola Maldonado, 2007 (cf [critique n°6846]). Pour l'Europe des films ont été réalisés avec le GAMS (Groupement pour l'abolition des mutilations sexuelles) : Mon enfant, ma sœur, songe à la douleur de Violaine de Villiers (2006) ou Noires douleurs de Lorène Debaisieux (2007). Ce dernier informe également sur l'opération qui restitue l'organe en restaurant les nerfs et la forme normale du clitoris, permettant à la femme de retrouver une vie de femme "entière".

C'est cet adjectif qu'ont choisi Philippe Baqué (qui a notamment coréalisé l'excellent Le Beurre et l'argent du beurre -cf. [critique n°5985]) et le bien connu Dani Kouyaté pour leur film entièrement consacré à cette reconstitution du clitoris. Car c'est de cela qu'il s'agit, comme les femmes qui témoignent le font comprendre : être femme entièrement, pouvoir reprendre sa vie en mains alors qu'elles n'ont pas choisi d'être excisées, retrouver son estime de soi et combler cette impression de manque qui dominait.

"Ça a changé ma vie !" insiste une femme. L'excision est cause d'hémorragies, d'infections, et dans le cas de l'infibulation de douleurs durant les relations sexuelles et de complications avec déchirures durant les accouchements. Mais ce n'est pas tant sur les séquelles graves de l'excision que se concentre le film mais sur le fait d'oser en parler, et d'oser vouloir être opérée pour "se reconstruire".

On estime à près de deux millions le nombre d'excisions pratiquées par an, soit 6000 par jour. Le Dr. Pierre Foldès, un urologue français, a mis au point une intervention chirurgicale qui restaure le clitoris et l'a pratiquée 4200 fois. On le voit former d'autres docteurs au Burkina Faso pour élargir les possibles. Bien sûr, seul un petit nombre de femmes pourront profiter d'une opération encore rare et chère, sans compter qu'il faut lutter contre la récupération des sectes (les Raëliens, si sûrs d'eux) ou la spéculation de certains médecins, et que les politiques ne s'occupent pas de régulation. Mais face aux préjugés claironnés par les hommes lors d'une conversation de maquis en début de film, un éveil des consciences est nécessaire et ce film y contribue singulièrement.

Il adopte en effet une mise en scène engagée de la parole, dépassant le simple témoignage frontal, ouvrant ainsi à l'incertitude et à l'ambivalence de décisions difficiles à prendre : des femmes (ici des comédiennes reprenant leurs textes), disposées en cercle, échangent entre elles sur un blog et se confient ainsi dans leur intimité en tapotant sur leurs ordinateurs. La caméra leur tourne autour dans l'obscurité : le dispositif accentue la concentration sur ce qu'elles disent tout en produisant un rythme au diapason. La courbe de la trajectoire de la caméra forme une boucle sans pour autant se clore : il s'agit de revenir à soi tout en s'ouvrant aux autres. Ces temps des intimités qui se répondent et vibrent ensemble forgent ainsi la possibilité d'une ligne, une mélodie, une pulsation commune qui les dépassent pour devenir la parole et l'élan des femmes qui se prennent en mains.

C'est dans cette détermination qu'elles arrivent à surmonter les questions d'honneur attachées à l'excision : "Je ne crains pas le couteau, je crains la honte de ma mère", chante une vieille dame dans le film. Mais les temps changent et la même femme indique qu'aujourd'hui, les femmes excisées ne trouvent pas de mari. La grande actualité de ce film, dont la cohérence impressionne, est ainsi de se concentrer sur la réparation, et partant la reconstruction non seulement du plaisir mais de la femme toute entière.

Critique > cinéma/tv   26|03|2014

http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=12093

Auteur(s): Olivier BARLET

Soumis par Caroline Messa Wambé le