Rodrigue TCHASSEM: cinéaste d'origine camerounaise

Q : Comment s’opèrent vos débuts dans le cinéma ?
R : Le cinéma c’est une passion que j’ai depuis l’enfance, j’aimais regarder les films. J’ai suivi une formation en montage audiovisuel dans un studio de la place, dans la ville. J’ai d’abord appris à faire des montages, de courts reportages, des petites séries, de petits spots publicitaires. Après trois ans de formation, je me suis inscrit à l’Université de Yaoundé I, dans la filière Arts du spectacle et cinématographie. C’est une filière du département des Arts et de la culture à l’Université de Yaoundé I, au Cameroun. C’est là que je débute une vraie formation professionnelle.
 
Q : À l’heure actuelle, vous avez réalisé combien de films ?

R : J’ai réalisé déjà quatre courts métrages.
 
Q : Pourquoi écrire et réaliser en langue française ?

R : C’est la langue dans laquelle je m’exprime le mieux et c’est la langue la plus utilisée au Cameroun.
 
Q : Quel livre, déjà publié, souhaiteriez-vous porter à l’écran, si l’occasion vous était donnée ?

R : Je parlerai de la pièce de théâtre, Bintou, de Koffi Kwahulé… J’ai voulu rentrer en contact avec l’auteur de cette pièce pour pouvoir faire une adaptation. Parce que j’ai fait la mise en scène de cette pièce pour participer au prix de théâtre international. J’aimerais bien voir Bintou de Koffi Kwahulé en cinéma, moi ça me plairait bien.
 
Q : Comment percevez-vous le cinéma au Cameroun ?

R : Curieusement, le cinéma va très mal dans notre pays, mais le nombre de cinéastes, réalisateurs, va plutôt croissant. C’est un peu curieux. Les gens continuent de croire que demain ça va changer, parce qu’il y a beaucoup plus de passion, il y a tellement de films qui sont faits mais malheureusement il n’y a pas de plateforme de visualisation pour regarder. Les jeunes aiment tellement le cinéma, lorsqu’il y a une occasion où ils peuvent se mettre ensemble pour regarder, c’est vraiment foule, on comprend qu’ils sont vraiment passionnés. Malheureusement, le gouvernement n’a pas mis en place une politique pour permettre le développement et la formation du cinéma, or il y a pourtant,  vraiment, de la passion.
 
Q : Quels maux minent actuellement ce cinéma ?

R : D’abord la formation. Pour faire du bon cinéma il faut être formé. Il faut savoir ce qu’on fait, quels sont les canons, quelles sont les règles. Comment le cinéma doit être fait ? Si on est formé, on fera un bon cinéma, qui plaira forcément aux gens et que nous pourrions donc vendre, nous créer un marché. Après la formation, il faudrait qu’une politique soit mise en place afin de donner les moyens aux passionnés, à ceux qui veulent le faire de pouvoir se former. Ensuite c’est le marché, comment distribuer les films, comment faire voir les films qui sont produits par ceux qui se battent bien pour le faire ? Les jeunes ne se forment pas. Tous ceux qui se forment pour la plupart sont ceux qui se lancent par la passion tout simplement. On a une camera, un angle de montage, des amis, on écrit une petite histoire et on prend la caméra et tout, et on se dit cinéaste, cinéaste… Or il faut bien une formation pour savoir les canons, comment cela se passe… La politique mise en place ne permet rien pour pouvoir former même ceux-là qui sont passionnés. Rien n’est véritablement fait. C’est vrai qu’aujourd’hui on peut quand même citer quelques éléments, mais ce n’est pas encore suffisant. Il n’y a pas de marché, la distribution…
 
Q : Selon vous, quelle place occupe le cinéma camerounais en Afrique ?

R : Si on essaie de repartir dans l’histoire du cinéma camerounais, je dirai qu’il a occupé pendant longtemps une place très importante en Afrique. Avant, le Cameroun était véritablement un grand secteur de distribution, lorsqu’il y avait encore la société qui aidait à la distribution… Le Cameroun était une plateforme très importante dans le cinéma en Afrique parce qu’auparavant il y avait beaucoup de salles de cinéma, on annonçait plus d’une vingtaine, et les films… Il y avait de grands distributeurs basés au Cameroun et qui arrivaient au Cameroun avant de circuler dans l’Afrique centrale même. Le gouvernement en ces temps-là avait mis sur pied une très grande structure qui aidait à la production cinématographique. Aujourd’hui il est difficile de dire réellement quelle est la place du cinéma camerounais en Afrique. J’ai comme l’impression de vouloir dire qu’en Afrique on ne compte plus trop sur le cinéma camerounais, pourtant il y a des cinéastes qui se démarquent bien sur, mais est-ce qu’on peut tabler sur ceux-là pour parler du cinéma camerounais ? On ne trouve que des individus qui se démarquent par un film certes, mais il n’y a pas de marché, il n’y a pas de distributeur du cinéma camerounais au Cameroun. Donc pour moi le cinéma camerounais n’a plus sa place véritablement, parce qu’au Cameroun on ne distribue pas, on ne trouve pas de grands producteurs, même s’il y a quelques cinéastes camerounais qui se démarquent justement par leurs films.
 
Q : Comment ça se passe, pendant vos tournages ?

R : Pour pouvoir tourner c’est d’abord la passion. Si on n’est pas passionné, impossible de le faire. Parce que généralement c’est un individu qui veut faire son œuvre, alors c’est lui qui trouve les moyens, parce que c’est difficile même d’avoir des financements, des sponsors. Parce qu’on sait que la finalité sera quoi… Si on sait qu’il n’y a pas de finalité, si on sait qu’on ne peut pas le vendre, donc forcément aucun bailleur de fond, aucun homme d’affaires, aucune entreprise ou structure ne peut être d’accord pour pouvoir donner une quelconque contribution. Donc forcément ce sont des passions personnelles, comme moi par exemple. Pris par la passion de vouloir réaliser un film, donc à ce moment-là c’est nous qui gérons tout. On peut appeler X ou Y s’il peut nous aider, soit à la caméra, soit à l’éclairage, soit au son, en formant une équipe. Et maintenant avec les acteurs, c’est la même chose. Du moment où il n’y a pas véritablement un casting qui est créé, qu’il n’y a pas un contrat qui est arrêté, forcément ça se passe par relations et par supplications. Ne pouvant payer les techniciens ou les acteurs nous sommes obligés de subir leur caprices, de les supplier. Donc à ce moment il faut gérer les humeurs des acteurs sans se fâcher, gérer les humeurs des techniciens parce qu’on leur donne simplement quelque chose de symbolique. Ce n’est pas vraiment professionnel, parce que si c’est professionnel il faut donner les droits de chacun, les devoirs… Forcement le rendement n’est pas tel qu’on l’attendrait, de ce fait. Les tournages sont donc vraiment difficiles à gérer. Déjà que le matériel nécessaire n’est pas mis à disposition, si on a la caméra pour un jour, on ne peut vraiment pas tout faire…
 
Q : Quels soutiens avez-vous reçu pour la réalisation de vos films ?
R : J’ai écrit, on a déposé, et… On n’a pas véritablement de soutien. On peut demander la caméra… On peut voir les amis, qui sont inscrits à l’école du cinéma à l’Université, s’il y a des comédiens… Demander leur aide. S’il faut attendre le soutien vraiment c’est difficile, on ne peut rien faire.
 
Q : Quels sentiments vous animent face à la projection des films camerounais dans les centres culturels français et les instituts Goethe, suite à la fermeture des salles de cinéma au Cameroun ?

R : Ce n’est que la conséquence logique, si on ne forme pas les gens, forcément il n’y aura pas de production. Si on ne met pas une politique en jeu pour pouvoir produire les films et les réaliser, forcément on voudra prendre les films de l’extérieur, pourtant ça coûte cher. Et forcément les salles vont fermer. Donc c’est encore la preuve qu’il n’y a pas de politique véritable, si le gouvernement avait les moyens de pouvoir non seulement créer les salles mais permettre que même les hommes d’affaire qui créent des salles puissent toujours les mettre en œuvre… Il n’y a pas de politique pour cela, et non seulement on augmente les taxes, alors qu’on ne permet rien pour pouvoir les aider dans ces salles-là, raison pour laquelle ils ferment. Les films de l’extérieur coûtent extrêmement chers, or s’il y a des productions locales, les camerounais se reconnaissent dans ces productions et font foule dans les salles. Aujourd’hui il y a les DVD, un film qu’on veut programmer en salle, 2500 francs CFA l’entrée, on le prend à 500 francs CFA le DVD, donc forcément les salles vont fermer, puisque les gens ne viendront pas. S’il n’y a pas de formation, il n’y a pas de production, alors forcément les salles ferment.
 
Q : Comment vos films sont-ils perçus par le grand public ?

R : Pour mes films, je pourrai dire sans vouloir me vanter que le public camerounais adore le cinéma. Parce qu’à chaque moment de rencontre, il y a foule. On essaie de faire comprendre ça au gouvernement qui ne veut pas le reconnaître. Les camerounais adorent le cinéma. Les films que j’ai faits, j’ai gagné des prix. Par exemple le Festival International du Film École, ici à l’Université, l’année passée. J’ai eu le prix du public et le prix du meilleur scénario. Les films sont accessibles parce qu’il y a un travail de fond qui est fait avec les enseignants, avec les formateurs que nous avons. On peut vraiment faire quelque chose si on a le soutien, parce que le public camerounais adore regarder les films camerounais. Lors des manifestations des films à l’exemple des festivals qui sont organisés, ils sont nombreux à être là. Si vous allez au Festival Écrans Noirs, si vous arrivez au Festival de Yaoundé tout court, si vous arrivez à Mis Me Binga… Les Camerounais sont nombreux, présents, les salles ne sont pas vides.
 
Q : Quels rapports entretenez-vous avec votre public ?

R : Moi, j’ai un public qui est conquis, parce que je suis à l’Université. Ils ont aimé mon film Une longue histoire, le prix de la meilleure comédienne est sorti de ce film. Ils ont aimé tous mes quatre films. Même lorsque je lance un casting pour un film que je veux faire, ils sont nombreux à être là parce qu’ils savent que je suis un réalisateur confiant, les films que j’ai faits, ils les ont vu, regardé… Le public est vraiment conquis. Quand on obtient le prix du public, cela veut dire que le public accrédite votre travail.
 
Q : Êtes-vous victime de votre célébrité ?

R : Non.
 
Q : Êtes-vous satisfait de votre parcours ?

R : Mon parcours ne fait que commencer. Je suis au début de ma carrière, je suis encore jeune. J’entends encore faire beaucoup. N’eut été les moyens, j’aurais déjà fait beaucoup de choses. J’entends faire plus que ça, donc je ne suis pas encore satisfait. Les quelques petites projections que j’ai faites déjà sont encourageantes, vu la réaction du public, mais je ne suis pas encore satisfait, je peux encore faire plus que cela.

Auteur(s): Caroline MESSA WAMBÉ

Soumis par Caroline Messa Wambé le